"Le Madrid de la bestia : l'apocalypse urbaine d'Álex de la Iglesia

International audienceSorti en 1995, El día de la bestia, que le réalisateur basque Álex de la Iglesia définit lui-même comme une "comédie d'action satanique", met en scène les tribulations d’un trio de personnages mené par un curé qui, croyant avoir découvert le lieu et la date de naissance de l’Antéchrist, se met en tête de débusquer ce dernier et entreprend pour cela l’exploration de la capitale espagnole un soir de Noël. Loin de se réduire à un simple décor, la métropole joue un rôle prépondérant dans un récit dont les procédés filmiques et narratifs, potentialisés par la double unité spatiale et temporelle, concourent à dépeindre le Madrid des années 1990 comme un locus terribilis saturé de violence, de misère et de destruction.Cette communication se propose d’analyser les variations sur le thème apocalyptique dans El día de la bestia, clé de voûte du portrait cinématographique que brosse Álex de la Iglesia du Madrid contemporain dans son œuvre, représentative des problématiques esthétiques et sociales de la postmodernité. La capitale fait l’objet d’une réélaboration filmique fondée sur un dialogue étroit entre spatialité et corporalité : caractérisée par son perpétuel état d’inachèvement, elle est saisie comme organisme dont l’intégrité est sans cesse mise à mal, à l’instar des corps qui la parcourent, agressés, brûlés, meurtris dans leur chair. Cette fictionnalisation implique en outre le remodelage de la matière plastique que constituent les référents spatiaux, passés au filtre de la déformation grotesque et intégrés à une iconographie diabolique qu’Álex de la Iglesia détourne dans le cadre de ses relectures parodiques du cinéma de genre. Les stratégies de la distorsion déployées dans la comédie noire servent la représentation d’un corps urbain déréglé, difforme, tout aussi monstrueux que la Bête que croit combattre le curé : la barbarie qui circule au sein de l’espace madrilène, placé sous le signe de la transgression, résulte du déchaînement des pulsions primitives permis par l’abolition des règles et le brouillage des limites entre centre et périphérie. Érigée en unique point de repère, la télévision constitue le point névralgique de cet univers chaotique ; son omniprésence ainsi que son pouvoir d’aliénation contribuent à faire apparaître la capitale comme un territoire hyperréel où la violence se confond souvent avec sa représentation. La radiographie de ce corps urbain en crise suggère que le véritable diable n’est pas biblique mais que l’atmosphère apocalyptique qui règne dans la métropole n’est autre que le fruit des maux sociétaux qui rongent cette dernière